I saw inside the forest
Varsovie, Pologne, 2017
Installation et performance
Papier peint, dentelle crochetée, tabouret, planche à pain, laine, plantes, insecte, crayon graphite et impression jet d’encre
Pour l’exposition à la Belarusian House de Varsovie en Pologne, j’ai développé «I saw inside the forest» une performance présentée lors du vernissage et une installation composée de vestiges domestiques. L’élément déclencheur de ce projet fût une discussion avec Eugenia Pietruszkiewicz, artisane oeuvrant en bordure de la forêt Bialoweiza en Pologne. Née à Pilipki, un petit village du nord-est, cette région a été peuplée par les Biélorusses. Étant de confession orthodoxe, elle a décidé de s'assimiler et devenir une Polonaise, malgré que ces parents aient été d’origine biélorusse. Aliaksandr Papko, politicologue biélorusse et journaliste, m’expliquait qu’il était très difficile d'appartenir à la minorité nationale. Il m’apprit que la situation d’Eugenia devient encore plus tragique lorsqu’on sait que la frontière, établie par les grandes puissances après la Seconde Guerre mondiale, traverse à quelques kilomètres de son village natal.
Intriguée par les multiples déplacements de frontière que le 20e siècle avait provoqués entre la Biélorussie et la Pologne, je me suis interrogée sur la singularité et la pertinence du sentiment d’appartenance national dans un contexte comme celui-ci. Je me suis appliquée à rendre perceptible cette frontière émotionnelle subsistant au sein d’une famille ou d’une demeure. Quel est son ressenti à échelle humaine, sa puissance, qui a mené et mène encore la population biélorusse à prendre parti oscillant entre l’assimilation, la résignation et la résistance. C’est lorsque je suis arrivée en Biélorussie que ma réflexion a pris forme.
—What’s the feeling of home? —
Pour répondre à cette question, j’ai rapporté plusieurs objets trouvés dans une maison abandonnée en plein coeur d’un village encerclé par la forêt. Rouleaux de papier peint, balle de laine, fourchette et planche à pain. Le choix s’est fait de façon empirique, guidée par l’énergie de cette maison.
En salle d’exposition, j’ai choisi de laisser le papier peint flotter au gré des courants d’air en fixant sur baguettes le haut de chaque bande. Au-dessus, j’ai accroché une photographie du salon de la vétuste maison que j’avais découverte. Sous celle-ci, j’ai retranscrit au crayon graphite une citation de Robert Harisson tirée de sa monographie «Forests the shadow of civilisation» (1). Gravée «What’s the feeling of home? Domu, Дома», la planche à pain posée contre la fenêtre devient vanité alors qu’elle côtoie parmi d’autres objets des fleurs séchées cueillies en forêt. Sur sa gauche, j’ai adossé un drapeau confectionné d'un tissage en laine de Merino avec la mention : «Merino flag will not fly». En tant qu’étrangère canadienne qui n’a connu ni la misère ni la guerre, j’ai cherché à capter l’atmosphère de ce pays dont je découvrais tout (le climat politique, la langue, les paysages, l’urbanisme). J’ai d’abord rassemblé les éléments qui m’avaient émue lors de ce séjour puis, j’ai conçu la performance comme un tableau vivant qui les prendrait pour décor. Chuchotant mes interrogations au creux des oreilles des visiteurs, chantonnant la mélodie d’une berceuse russe (2), les cheveux en bataille, les yeux clos, le visage cagoulé… dans la lenteur, j’ai cherché à prendre possession du lieu que j’avais reconstruit.
(1) «Forests cannot be owned, they can only be wasted by the right to ownership. Forest belongs to place – to the placehood of place – and place, in turn belongs to no one in particular. It is free. Of course nothing can guarantee that a place’s freedom, like its forests, will not be violated or disregarded, even devasted. On the contrary, this natural freedom of placehood is the most vulnerable element of all in the domestic relation […]»
HARISSON, Robert, «Forests the shadow of civilisation», Flammarion, France, 1992, page 301.
Traduction française : «Les forêts ne peuvent être possédées, elles ne peuvent qu’être dévastées par le droit de propriété. Les forêts n’appartiennent à un lieu, à l’être-lieu du lieu, et le lieu n’appartient à personne en particulier. Il est libre. Bien sûr rien n’empêche que la liberté d’un lieu et de ses forêts ne soit violée, ignorée ou anéantie. Au contraire, cette liberté naturelle du lieu est l’élément le plus vulnérable de la relation domestique […]»
(2) Chanson chrétienne russe intitulée: «Как прекрасно всё то что Твоё»
Archives photographiques de la performance
Crédit photo: Jérémy Knez
Cette résidence a été rendue possible grâce à Michael BRANCHU, fondateur de l’Association Galerie Fontaine, artiste et commissaire ainsi que Olga ALESZKO et Veronika LAPUTSKA, les coordinatrices polonaises du séjour en Pologne et responsables de l’organisation de l’exposition en collaboration avec la Belarusian House. Plusieurs intervenants rencontrés durant ce projet ont grandement nourris mes réflexions, j'aimerais souligner la générosité de Aliaksandr PAPKO, politologue biélorusse et journaliste à la Radio Polonaise ainsi que Lesya SHEVELEVA, professeure de botanique à l'Université de Minsk. Pour conclure, j'ai eu le privilège de créer aux côtés d'artistes émergeants qui ont rendu cette résidence mémorable Zuzanna BANASINSKA, Adam ZADLO, Élise HALLAB, Guillaume JEZY et Jérémy KNEZ aisni que François BRIAND.
Je remercie le Conseil des Arts du Québec (CALQ), Les Offices Jeunesses Internationaux du Québec (LOJIQ) ainsi que Nantes Creative Generation (NCG) pour leur soutien financier.